“The power to tax is the one great power upon which the whole national fabric is based (…) it is not only the power to destroy but also the power to keep alive”[1].
La jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis de 1899, a longtemps évoqué le rapport entre souveraineté et fiscalité[2], en faisant allusion au fameux adage du juge américain John Marshall et souligne que, la fiscalité n’est pas seulement à même de détruire mais aussi de tenir à vie[3].
Selon la conception de Thomas Hobbes de l’État « souverain », certains attributs s’attachent au pouvoir souverain. Parmi les attributs de la souveraineté, Hobbes distingue ceux qui sont inaliénables. Le pouvoir fiscal en fait partie intrinsèque. Il évoque expressément dans le Léviathan “If he grants away the power of raising money, the militia is in vain “.
Hobbes a longtemps soutenu l’idée selon laquelle un État ne peut valablement disposer de certains attributs de sa souveraineté et notamment de ses prérogatives fiscales et juridictionnelles[4]. On remarque une érosion du postulat en vertu duquel la fiscalité serait un attribut ‘’inaliénable ’’, dès lors qu’un nombre incommensurable d’accords internationaux à tonalité fiscale est venu l’atténuer à l’instar des conventions fiscales de non double imposition, des traités de commerce et des traités sur la promotion et la protection des investissements.
Si les États s’accordent à avoir une volonté de protéger leurs nationaux, d’harmoniser leurs règles fiscales et d’attirer les investissements[5], ils peuvent s’exposer au contrôle d’un juge étatique ou d’un arbitre international. Afin que la protection soit efficace, la coopération internationale doit être assortie d’un mécanisme de résolution des différends. De même, les juridictions étatiques peuvent exercer une harmonisation supplémentaire. D’ailleurs, l’expérience européenne l’a démontré vu que la jurisprudence de la Cour de justice a pu exercer une influence indirecte mais forte sur le droit des États membres[6].
Reposant sur les mêmes mobiles, l’arbitrage et la fiscalité internationale ont fini par se croiser naturellement. L’arbitrage constitue depuis des années un mode souple et efficace de « gouvernance » des conflits internationaux.[7] La manifestation de l’articulation entre fiscalité et arbitrage se présente dans plusieurs branches du droit international économique, à l’égard du domaine des conventions fiscales internationales de non-double imposition, du droit des investissements, du droit international du commerce, ainsi que du droit pénal des affaires internationales.
Plusieurs conventions fiscales de non-double imposition ont consacré expressément des clauses arbitrales[8]. l’OCDE a inclus dans son modèle de convention fiscale, qui est accompagné dans les commentaires d’une annexe proposant aux États un modèle d’organisation pratique de la procédure d’arbitrage, une clause d’arbitrage[9] qui a vocation à s’appliquer à tous les différends et ,qui dispose expressément dans son article 25 (5) du modèle de 2008 : « Les États contractants peuvent également soumettre à l’arbitrage toute question qui n’aura pas pu être réglée dans le cadre d’une procédure amiable engagée en vertu du présent article. Ces États détermineront d’un commun accord les modalités d’application de ce paragraphe ».
L’ONU, dans le cadre de sa convention modèle entre pays développés et pays en développement, a suivi en 2011 l’exemple de l’OCDE.[10] C’est ainsi que plusieurs États ont expressément adopté dans le cadre des négociations et de leurs conventions de non double-impositions, des clauses expresses d’arbitrage. C’est le cas de la convention de non double imposition entre la France et la Tunisie[11] qui dispose dans son article 41 relatif à la procédure amiable :
« Les autorités compétentes des États contractants s’efforcent, par voie d’accord amiable, de résoudre les difficultés ou de dissiper des doutes auxquels peut donner lieu l’application de la Convention. Elles peuvent aussi se concerter en vue d’éviter la double imposition dans les cas non prévus par la Convention. »
L’action 14 du programme BEPS[12], intitulé ‘’Accroitre l’efficacité des mécanismes de règlement des différends’’ , qui encourage à « trouver des solutions pour lever les obstacles qui empêchent les pays de régler les différends relatifs aux conventions en recourant à la procédure amiable, notamment le fait que la plupart des conventions ne prévoient pas de clause d’arbitrage et que le recours à la procédure amiable et à l’arbitrage peut être refusé dans certains cas », a remédié à la surcharge de la procédure amiable par augmentation des différends fiscaux relatif à la non double imposition économique et juridique, et qui, découlent de l’insécurité juridique et fiscale créée dans un contexte post-BEPS, a abouti à la conclusion qu’il faut développer l’arbitrage[13].
Quand bien même le droit fiscal est susceptible de paraitre traditionnellement inaccessible à l’arbitre[14], l’arbitrage ne cesse de s’étendre en matière fiscale. En effet, l’arbitrabilité peut s’étendre aux questions fiscales ou potentiellement fiscales s’insérant dans les litiges non fiscaux à titre incident.
L’arbitrabilité des litiges à tonalité fiscale est « incertaine ». Traditionnellement, les litiges fiscaux ou à tonalité fiscale étaient inarbitrables. En revanche, on remarque que ces litiges sont de plus en plus arbitrables. Ceci se manifeste essentiellement à travers le développement conventionnel du recours à l’arbitrage.
La pratique de l’arbitrage transnational a longtemps déclaré l’arbitre incompétent quand il est saisi d’un litige entaché de litiges à tonalité fiscale afin de se soustraire à sa compétence au profit des juridictions nationales. Étant donné que le droit fiscal relève du pouvoir régalien des États et concerne directement l’intérêt public des États, les litiges fiscaux ou à tonalité fiscale relèvent plus favorablement de la compétence des judications étatiques que celle des juridictions privées81. Toutefois, en vertu de conventions bilatérales ou multilatérales, les arbitres peuvent être compétents pour connaitre des litiges relatifs à la fiscalité, on parle alors de l’arbitrabilité des litiges à tonalité fiscale.
S’il peut y avoir des obstacles à l’arbitrabilité d’un contentieux lié à la fiscalité, c’est parce qu’il peut opposer un contribuable à l’administration fiscale et que l’objet même du litige concerne le pouvoir régalien de l’État.
Pour certains litiges, vu que la compétence du juge étatique est exclusive, l’arbitre doit s’abstenir. Toutefois, les parties au litige peuvent attribuer certaines compétences à l’arbitre en dehors des domaines réservés au seul juge étatique. Dans ce cadre, certaines conditions établies par le droit étatique doivent être remplies pour qu’un litige puisse être tranché dans le cadre d’un arbitrage. On parle alors de l’arbitrabilité des litiges qui peut se définir comme étant « le fait d’être arbitrable ; or est arbitrable ce qui est susceptible d’être arbitré »[15]. Il s’agit de la « la faculté attachée à un litige d’être résolu par la voie de l’arbitrage »[16].
1) L’arbitrabilité des litiges à tonalité fiscale entre refoulement et renversement :
Si on admet que la matière fiscale n’échappe pas dans son ensemble à l’arbitrage, jusqu’où l’emprise de ce mode alternatif de règlement des différends est-elle susceptible de s’étendre ?
Le ‘’refoulement’’[17] de l’arbitrabilité des litiges à tonalité fiscale
La doctrine française considère que si la fiscalité continue à échapper à l’arbitrage, ceci est à cause du rattachement de ce mode alternatif de règlement des différends à l’ordre juridique étatique.
Le rattachement continu de l’arbitrage à l’ordre étatique
Quand bien même le critère de l’arbitrabilité a connu un mouvement général de dissipation, au point qu’on a pu annoncer sa mort dans le cadre de l’arbitrage du commerce international[18], quel que soit le degré d’autonomie dont il bénéficie, on n’a jamais assisté à une rupture complète[19] de tout lien entre arbitrage et ordre juridique étatique. L’arbitrabilité de la matière fiscale est moins étrangère qu’elle ne l’avait été jusqu’alors, puisqu’elle a fait l’objet d’un mouvement général d’atténuation. Ce mouvement, porteur d’un véritable refoulement de l’arbitralité, est considéré comme salutaire dès lors qu’il a conduit à au développement de cette matière. L’État pourra garantir sa compétence en matière fiscale dans la sphère internationale[20], au sein de laquelle l’égalité souveraine des États se traduit par la compétence normative exclusive dont bénéficie chaque État pour régir aussi bien son fonctionnement que son organisation et, plus généralement les matières l’intéressant directement en tant que puissance publique ,au premier rang desquelles, figure la matière fiscale.
Pour ce qui est de l’arbitrage fiscal international, les États seront toujours susceptibles d’imposer le respect de leurs exigences à ce mode alternatif de règlement des différends. D’ailleurs, la procédure de l’arbitrage fiscal international qui résulte du plan BEPS, plus clairement définie que dans le passé, démontre le souci des États de limiter autant que possible les pouvoirs accordés aux arbitres[21].
Par conséquent, la réduction de ce critère de l’arbitrabilité conduit les États à déterminer d’une manière plus précise les situations dans lesquelles la mise en œuvre de l’arbitrage est susceptible « d’empiéter »[22] sur un domaine réservé qu’est le droit fiscal.
L’autonomie de la fiscalité par rapport à l’ordre juridique étatique
Il n’existe aucune réglementation qui empêche la faculté pour l’arbitre saisi d’un litige de droit commun, à l’occasion duquel se pose une question fiscale, d’interpréter une disposition de cette nature[23].
En effet, un arbitre était saisi à la suite d’un premier arbitrage qui a condamné un État à payer des sommes d’argent à un entrepreneur, afin de traiter une question relative aux sommes allouées, si elles devraient être considérées comme des bénéfices imposables ou des dommages intérêts non imposables[24].
Quand bien même, l’appréciation d’une situation fiscale par l’arbitre n’aurait de valeur que dans le cadre d’un litige qui lui est soumis, la doctrine considère qu’il est possible de considérer que l’ordre public de direction en cause en droit fiscal n’est pas le même[25].
Par conséquent, dans l’hypothèse d’une pluralité de sentences arbitrales contradictoires, une telle solution peut porter des insécurités juridiques[26] au contribuable.
Le ‘’renversement’’ de l’arbitrage fiscal international post-BEPS
La procédure d’arbitrage fiscal international, plus clairement définie que dans le passé, reflète l’intérêt des États de limiter les prérogatives accordées aux arbitres autant que possible[27].
La procédure d’arbitrage, manifestation du particularisme de l’arbitrage fiscal international en droit comparé
Le constat selon lequel, nul ne peut comparer le mécanisme de l’article 25 (5) de l’OCDE à celui existant dans les traités d’investissement ou des contrats commerciaux[28], est fait avant que le plan BEPS ne modifie la forme et le fond de l’arbitrage fiscal international[29].
Pour ce qui est des arbitres, ils ne devraient pas présenter de garantie d’indépendance particulière par rapport aux parties[30]. Grâce au projet BEPS, plusieurs changements ont eu lieu.
En effet, la commission d’arbitrage se compose de trois personnes expérimentées en fiscalité internationale[31] ; elles doivent être impartiales et indépendantes de l’administration et d’autres autorités compétentes. Il est important de préciser que les arbitres ne participent pas à un « tribunal arbitral » mais à une « commission d’arbitrage »[32]. Ils ne prononcent pas une sentence comparable à celle prononcée par les arbitres commerciaux. En effet, les arbitres disposent de prérogatives très limitées[33] et ne peuvent pas en principe trancher les litiges entre États de la façon qu’ils estiment la plus appropriée.
La manifestation du particularisme de l’arbitrage fiscal international se reflète è travers les dispositions de l’article 24 de la Convention multilatérale qui prévoit que, nonobstant le caractère contraignant de la décision de la commission d’arbitrage, elle ne devrait pas être appliquée si les autorités compétentes des juridictions contractantes s’accordent sur une autre solution qui porte sur l’ensemble des questions non résolues dans un délais de 3 mois[34] suivant la date à laquelle la décision leur a été communiquée.
Toutefois, les arbitres en matière de fiscalité internationale peuvent avoir une certaine marge de manœuvre quand les États s’accordent pour privilégier le recours à la méthode d’arbitrage par « l’opinion indépendante »[35] , utilisée dans le cadre des systèmes civilistes à l’instar de la France et de la Tunisie , qui accorde plus de pouvoir aux arbitres dans la prise de décision finale, contrairement au « baseball arbitration », utilisée dans les systèmes de Common Law, qui permet aux États de limiter le choix des arbitres entre deux solutions.
En revanche, la question qui peut se poser ici, est de savoir si les arbitres disposent dans ces deux modes de procédures, de prérogatives adaptées à l’exercice de leur mission.
‘’L’appréhension’’ des prérogatives reconnues aux arbitres en fiscalité internationale
Afin de résoudre les différends concernant l’élucidation du concept d’établissement stable, de bénéficiaire effectif ou l’interprétation d’une règle anti-abus, les arbitres doivent avoir une bonne compréhension de la jurisprudence applicable dans les États parties du différend ainsi que des règles juridiques applicables dans le but de décider si l’imposition est conforme aux dispositions de la convention.
De surcroit, le commentaire du Modèle d’accord amiable sur l’arbitrage (§ 31) mentionne que les arbitres statuent conformément aux principes de l’OCDE en matière de prix de transfert ainsi que des principes d’interprétation des articles 31 à 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Mais les arbitres doivent être très discrets pour accepter des sources pertinentes afin d’interpréter les dispositions des conventions.
Dans ce sens, les arbitres doivent rechercher des éléments de faits qui n’auraient pas été fournis ou qu’ils l’étaient mais de façon imprécise. Mais, si les arbitres ne se voyaient reconnaitre la possibilité de rechercher des informations d’ordre juridique qui ne figurent pas dans le dossier, ils seraient dans l’impossibilité de développer une « jurisprudence autonome »[36].
Aussi, on note une certaine « ambiguïté »[37] par rapport au statut reconnu au contribuable dans le cadre de la procédure d’arbitrage.
En l’espèce, si un litige porte sur les prix de transfert, ou l’attribution des profits à un établissement stable[38], il serait déplacé que les arbitres demandent au contribuable concerné de leur fournir des éléments d’information qui « n’auraient pas été demandées par les autorités compétentes à un stade précoce de la procédure »[39].
Par conséquent, le principe le plus important relatif à la preuve dans notre sujet est qu’il ne doit pas y avoir d’opportunités ou d’incitations pour que le contribuable essaye de « compromettre »[40] le processus de négociation de la procédure amiable en essayant d’orienter la commission d’arbitrage à prendre en considération des informations qui auraient été retenues ou non communiquées aux autorités compétentes. De même, les arbitres doivent avoir la possibilité de nommer des experts ou des témoins, sans transformer l’arbitrage fiscal international en une forme d’arbitrage commercial traditionnel.
La professeur Gutmann a conclu dans ce sens, qu’accorder aux arbitres certaines prérogatives afin de conduire la procédure de la façon qu’ils jugent la plus appropriée n’est pas en contradiction avec le but de l’arbitrage.
2) L’arbitrabilité des litiges à tonalité fiscale en droit comparé :
L’analyse portera d’abord sur l’arbitrabilité des litiges à tonalité fiscale dans les systèmes de tradition civiliste. Elle se poursuivra par l’étude des approches développées dans les systèmes de Common Law.
L’arbitrabilité des litiges à tonalité fiscale dans les systèmes civilistes :
En France, afin qu’un litige soit traité par l’arbitre, il faut que la convention d’arbitrage, qui est un contrat dont l’objet est de soumettre la résolution des litiges à l’arbitrage, soit, comme tous les contrats, exempte de vices pour que son objet soit valide et qu’elle soit objectivement licite. La qualité de l’une des parties, à savoir une personne morale de droit public, pourrait remettre en cause l’arbitrabilité d’un litige. Il s’agit donc de la non-arbitrabilité subjective ou ratione personae, étant donné que certains États interdisent à ces personnes morales de compromettre. En effet, certains auteurs expliquent les restrictions des personnes morales de droit public à participer à l’arbitrage en se basant sur la question de capacité[41]. En effet, comme tout contrat, pour qu’une convention d’arbitrage soit valable, les deux parties doivent impérativement avoir la capacité à conclure sous peine de nullité. Dans ce cas, il s’agit d’une limitation de la capacité à compromettre des personnes morales de droit public, et ce, conformément à la théorie classique. De même l’objet même du litige qui touche à l’ordre public pourrait susciter un obstacle à l’arbitrabilité d’un litige, on parle alors de la non-arbitrabilité objective ou ratione materiae.
Il est à noter que l’arbitrabilité des litiges en droit interne est plus limitée qu’en droit international[42]. En revanche, certains États tendent de plus en plus à éviter cette distinction entre arbitrage international et arbitrage interne vu qu’ils sont soumis aux mêmes règles d’arbitrabilité. La Cour de cassation française a déclaré à plusieurs reprises que « la prohibition dérivant des articles 83 et 1005 du code des procédures civiles n’est pas une question de capacité au sens de l’article 3 du code civil ».
Contrairement à la pratique internationale, en droit interne, chaque État est souverain dans la légifération de ses lois tout en respectant ses engagements internationaux et les droits fondamentaux, les États peuvent remettre en cause la convention d’arbitrage conclue en invoquant leur propre loi interdisant aux personnes morales de droit public de compromettre.
En Tunisie, le Doyen Lotfi Chedly affirme que le terme « arbitrabilité signifie qu’un litige est susceptible d’être soumis à l’arbitrage, plus on élargit le domaine de l’arbitrabilité, plus on reconnaitra l’efficacité de la convention d’arbitrage et de l’arbitrage de manière générale »[43]. En droit tunisien, si le litige n’est pas arbitrable, l’objet de la convention d’arbitrage deviendra illicite. Et si en dépit de l’inarbitrabilité une sentence a été obtenue, il est plus probable qu’improbable qu’elle soit annulée ou son exequatur refusé pour invalidité de la convention d’arbitrage ou la contrariété de la sentence à l’ordre public[44]. Dans ce sens, le Doyen affirme « Les États qui ont reconnu l’arbitrabilité des litiges en matière d’ordre public, et la sanction par l’arbitrage de l’ordre public, l’ont fait sous la condition implicite et parfois explicite, du respect par l’arbitre international des impératifs étatiques essentiels »[45]. Toutefois, grâce à l’émancipation progressive de l’arbitrabilité par rapport à l’ordre public et l’ouverture de l’accès de l’arbitrage international à l’État et aux personnes publiques, on constate que l’arbitrage international fait que le domaine de l’inarbitrabilité est « en train de se rétrécir comme une peau de chagrin »[46].
Si en droit français on parle d’une émancipation assumée de la notion d’arbitrabilité, en droit tunisien, la notion d’arbitrabilité rationae materiae par rapport à l’ordre public est en voie d’émancipation.
Conformément aux dispositions de l’article 7 du Code de l’arbitrage tunisien : « On ne peut compromettre : 1) Dans les matières touchant à l’ordre public ; 2) Dans les contestations relatives à la nationalité ; 3) Dans les contestations relatives au statut personnel, à l’exception des contestations pécuniaires en découlant ; 4) Dans les matières où on ne peut transiger … »
De plus, conformément aux dispositions de l’article 1462 du Code des obligations et des contrats tunisiens : « On ne peut transiger sur une question d’état ou d’ordre public, ou sur les autres droits personnels qui ne font pas objet de commerce ; mais on peut transiger sur l’intérêt pécuniaire qui résulte d’une question d’état ou d’un délit ».
En effet, on remarque dans l’arrêt de la cour d’appel de Tunis n°15 du 15 février 2000, que le droit fiscal, comme représentation typique du pouvoir régalien de l’État, n’échappe plus en bloc à l’arbitrabilité. En se fondant sur l’article 7 précité, le tribunal arbitral, à travers une distinction, a rejeté un recours d’annulation d’une sentence arbitrale qui s’est prononcée sur la charge de la TVA entre deux personnes privées. La Cour a distingué les litiges fiscaux stricto sensu opposant le contribuable à l’État et les litiges qui naissent entre personnes privées dans le cadre d’une retenue à la Source et le paiement de TVA. Le Doyen Chedly affirme expressément que : « Si la première catégorie est allergique à l’arbitrabilité, rien n’empêche le recours à l’arbitrage pour la seconde catégorie de litiges. Ces litiges peuvent être soumis à l’arbitrage et ne sont par conséquent pas considérés comme touchant à l’ordre public ».
Cette jurisprudence tunisienne marque une évolution vers la neutralisation de l’ordre public au stade de l’arbitrabilité mais qui demeure incomplète pour les matières « extrêmement sensibles »[47] à l’égard de la fraude et l’évasion fiscale internationale.
L’arbitrabilité des litiges à tonalité fiscale dans les systèmes de Common Law :
Si la conception de l’arbitrabilité repose sur des fondements similaires dans la doctrine européenne, aux Etats-Unis, la notion « arbitrability » est utilisée dans un sens plus large qui englobe toutes les conditions de l’arbitrabilité d’’un litige. Conformément à la jurisprudence américaine, cette notion englobe non seulement l’aptitude d’un litige d’être résolu par un arbitrage mais aussi la question de l’existence et de la validité de la clause d’arbitrage[48].
Conformément àl’article 12 du second Restatement of Contracts (1981) « No one can be bound by contract who does not have legal capacity to incur at least voidable contractual duties, and the capacity to contract may be partial and its existence in respect of a particular transaction may depend upon the nature of the transaction or upon other circumstances »
Par application à cette définition de la capacité en droit américain, il serait interdit à une partie, à l’égard des personnes morales de droit public, de conclure une convention de l’arbitrage eu égard de l’inexistence de leur capacité dans ce domaine. Et plus particulièrement de leur capacité de jouissance qui concerne l’aptitude à acquérir des droits et à être tenu d’obligations et ce, conformément à la théorie classique qui limite la capacité à compromettre.
Ainsi, une juridiction privée peut être considérée en principe comme inapte à trancher un litige fiscal touchant directement à l’impérium de l’État, toutefois en appliquant des critères d’arbitrabilité de plus en plus libéraux, l’exclusivité des compétences n’est pas absolue ; « l’objectif de toute règle d’arbitrabilité est de déterminer à quelle condition l’ordre juridique acceptera de reconnaitre son incompétence à la suite du choix de l’instance arbitrale »[49]. Si l’arbitrabilité du litige civil ou commercial touchant la matière fiscale est généralement acceptée, les contentieux purement fiscaux entre le contribuable et l’administration fiscale demeurent inarbitrables dans la plupart des États[50].
[1] Nicol v.Ames, 173 U.S 509 ( 189ç) spec.p.515.
[2] Voir la sentence arbitrale dans l’affaire “ Taxation liability of Euratom employees between the Commission of European Atomic Energy Community (Euratom) and the United kingdom Atomic Energy Authority “ du 25 février 1967, RSANU vol.XVIII,p.497, spec.p.507.
[3] McCulloch v. Maryland, 17 US ( 4 Wheaton) 316 ( 1819) spec.p.326 “ An unlimited power to tax involves, necessarily the power to destroy; because there is a limit beyond which no institution can bear taxation”
[4] Hobbes T, « Leviathan », Londres 1651, chapitre XVIII, cité d’après la version éditée par Edwin Curley, Indianapolis 1994,p.115 s.
[5] Gildemeister A, L’arbitrage des différends fiscaux en droit international des investissements, préface de Emmanuel Gallard, LGDJ, 2013, Paris, p. 25
[6] Masch G ‘’ le droit communautaire des contrats et son influence sur le droit national des États membres ‘’, Munich 2009, spéc.p.18 et s.
[7] Gildemeister A, L’arbitrage des différends fiscaux en droit international des investissements, préface de Emmanuel Gallard, LGDJ, 2013, Paris, p. 27.
[8] Les clauses consacrées avant 2001 sont disponibles dans les annexes à a thèse de Mario Züger, « Arbitration under Tax Treaties – Improving Legal Protection in International Tax Law », Amsterdam 2001.
[9] Voir Audit M, « L’introduction de l’arbitrage en matière de règlement des litiges fiscaux transfrontaliers », Rev.arb.2008,p.588.
[10] La convention et les travaux du « Groupe spécial d’experts de la coopération internationale en matière fiscale » sont disponibles sur le site, http:// www.un.org/esa/ffd/tax.
[11] Convention entre la France et la Tunisie tendant à éliminer les doubles impositions et à établir des règles d’assistance mutuelle administrative en matière fiscale (ensemble un protocole), signée à Tunis le 28 mai 1973, approuvée par la loi n° 74-1080 du 21 décembre 1974 (JO du 22 décembre 1974) ratifiée le 14 juin 1974 et le 11 mars 1975 entrée en vigueur le 1er avril 1975 et publiée par le décret n° 75-1044 du 28 octobre 1975 (JO du 13 novembre 1975).
[12] BEPS: Base Erosion and Profit Shifting.
[13] Gibert B et Pasquier C, « Arbitrage : les nouvelles dispositions issues de la convention multilatérale », FR, 27/17.
[14] Chambon M, L’arbitrabilité des litiges à tonalité fiscale, Revue européenne et internationale du droit fiscal N°2017/4, p.351.
[15] Jarrosson, CH, op.cit.1996, p.1.
[16] Racine J.-B., L’arbitrage commercial international et l’ordre public, Paris, LGDJ, 1999, p.25
[17] Chambon M, L’arbitrabilité des litiges à tonalité fiscale, op.cit. p.353.
[18] Youssef, K, «The death of Inarbitrability», in Arbitrability: International and Comparative Perspectives, Éd. L.A. Mistelis, S.L. Brekoulakis, Wolters Kluwer, 2009, p. 55.
[19] Ibid., CHAMBON M, L’arbitrabilité des litiges à tonalité fiscale, p.355
[20] Mayer, P. « Droit international privé et droit international public sous l’angle de la notion de compétence », RCDIP, 1979, pp. 2 et s. (I), pp. 349 et s. (II), et pp. 537 et s. (III).
[21] Gutmann, D, « Brèves réflexions sur les règles procédurales de l’arbitrage fiscal international post-BEPS », op. cit.p.396
[22] Chambon M, L’arbitrabilité des litiges à tonalité fiscale, op.cit. p.355
[23] Ibid. 357.
[24] CCI, n° 6233/1992, Rec., III, p. 332.
[25] Ibid.
[26] Panou, C, Le consentement à l’arbitrage. Étude méthodologique du droit international privé de l’arbitrage, IRJS Éditions, 2011, p. 106.
[27] Ibid, Gutmann, D, « Brèves réflexions sur les règles procédurales de l’arbitrage fiscal international post-BEPS », op. cit.pp.396-401
[28]Hublot, M.-L, Les procédures de règlement de la double impo- sition résultant de la correction des prix de transfert entre entreprises associées, thèse, Paris 2, 2014, pp. 309 et s.; voir aussi Snod- GraSS, E. « Tax Controversies and Dispute Resolution under Tax Trea- ties: Insights from the Arbitration Sphere », Derivatives & Financial Instruments, 2017, vol. 19, n° 5.
[29] Ibid., p397.
[30] L’article 7 ancien du MAAA disposait « toute personne et notamment un représentant d’un Etat contractant, peut-être nommée arbitre, à moins qu’elle n’ait été impliquée dans les étapes du cas ayant conduit à la procédure d’arbitrage », l’article 15 du commentaire du MAAA énonçait que « la nomination d’arbitres qui soient des représentants des États de chaque État contractant peut présenter un certain nombre d’avan- tages, ceux-ci ayant déjà connaissance de ce type de question. Il devrait donc être possible de nommer à la commission des fonctionnaires qui n’ont pas été directement concernés par l’affaire ».
[31] L’article 2.1 du MAAA.
[32] Ibid., p.398.
[33] Ibid
[34] Ibid.
[35] La possibilité de recourir à l’approche de l’opinion indépendante est prévue à l’article 23.2 de l’Instrument multilatéral.
[36] l’article 5.6 du Modèle d’accord amiable sur l’arbitrage qui énonce que « la décision d’arbitrage n’a aucune valeur de précédent ».
[37] Ibid.
[38] OCDE, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune : version de juillet 2017 (mise à jour 2017), art. 5, § 1 : « L’expression “établissement stable” désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité ».
[39] Gutmann, D, « Brèves réflexions sur les règles procédurales de l’arbitrage fiscal international post-BEPS », op. cit.p.400.
[40] L’article 5.2 du Modèle d’accord amiable sur l’arbitrage
[41] Reymond C., « Souveraineté de l’Etat et participation à l’arbitrage », Rev. Arb., 1985, p.529 ; Blac G., « Personnes publiques et arbitrage commercial international », Revue de droit international, 1999, p.236-
237 ;. Mustill, S.C. Boyd M. J, Commercial Arbitration: 2001 Companion, Volume, vol. 1, Butterworth, 2001, p.72 ; Poudret, S. Besson J.-F., Droit comparé de l’arbitrage international, Bruylant Bruxelles, L.G.D.J., Schulthess, 2002,p.190-191;. Born G.B, International commercial arbitration, Wolters Kluwer, the Netherlands, 2009, Vol. I, p.690et s. ;. Séraglini Ch, Ortscheidt J., Droit de l’arbitrage interne et international, op. cit. , p.110 et s.
[42] Chen XU, Les contentieux fiscaux devant l’arbitre, thèse de doctorat, op.cit., p.67.
[43] Chedly L, L’efficacité de l’arbitrage commercial international », Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 400, 2019, p. 321.
[44] IBID.
[45] Chedly L, L’efficacité de l’arbitrage commercial international » op.cit., p. 201.
[46] Ibid, p.322.
[47] Chedly L, L’efficacité de l’arbitrage commercial international » op.cit., p. 338.
[48] First Options of Chicago v. Manuel Kaplan et and MK Investment Inc, the Supreme Court of the United States, 22 Mai 1995, 514 U.S. 938 (1995); Smith Enron Cogeneration Limited Partnership, Inc et al v Smith Cogeneration International, Inc,United States Court of Appeals, Second Circuit, 8 Décembre 1999, Yearbook of Commercial arbitration, Vol. 25, 2000, p.1088.
[49] Coipel-Cordonnier, N. Les conventions d’arbitrage et d’élection de for en droit international privé, , LGDJ, Paris, 1999, p.237.
[50] Le GALL, J.P, « Fiscalité et arbitrage », Rev.Arb., 1994, n°1, p.23.


